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10 06, 2011

Balade d’altitude

Le Tadjikistan c’est la traversée des Pamirs, ces hautes montagnes redoutées par Marco Polo lui-même lors de son passage au 13ème siècle. En vue de les attaquer, on commence par prendre des forces dans la capitale très soviétique de Douchambe, en ingurgitant quelques plovs. Deux jeunes frères nous offrent leur appartement pour 3 jours, le temps pour nous de se procurer les différents permis et de se cultiver un peu par quelques lectures.

La première semaine est la plus exigeante. Le décor de ces vallées encaissées est charmant, mais il faut rester concentré sur la route car l’asphalte nous à quitté depuis un moment. La chaleur s’atténue graduellement avec l’altitude, mais l’adoucissement climatique n’est pas si rapide car à chaque montée s’adjoint une descente. Ces « up and down » ne sont pas très bon pour le moral, surtout pour celui de Mak qui prend conscience que ces montagnes seront son quotidien pour les mois à venir. Le premier vrai col est celui qui nous a paru le plus pénible, mais heureusement Rodrigo Beenkens est là dans les moments dures pour nous donner un coup de pouce (imitations sur ton du commentateur sportif). On cale au col à cause de la neige qui s’amasse sous nos roues. Ce soir il n’est pas possible de descendre, et puis on est trop fatigué pour ça. On avise un bâtiment abandonné que l’on aperçoit par chance dans le brouillard épais. Tentative vaine d’allumer du feu pour la popote et se réchauffer. Le lendemain la descente est un peu « technique », nombreux réglages des freins détraqués par la présence de boue. Dans la vallée, commence alors le vis-à-vis avec l’Afghanistan de l’autre coté de la rivière Panj, qui sépare manifestement 2 mondes. On parcourt les quelque 200 km frontière avec nos yeux rivés sur les berges afghanes moins bien loties. Un sentier escarpé sert comme seul moyen de communication entre les petits villages bâtis en terre sur des parcelles abruptes. Sur ce sentier qui nous sert de distraction se pressent des ânes, des fermiers, des femmes en bourqa et des « petites filles afghanes, de l’autre coté de la rivière » (bête chanson qu’on a en tête). Nous sommes bien les seuls à les saluer car l’Afghanistan est le pays qui, selon les tadjiks, souille l’image de leur jeune nation. Le trafic d’opium et d’héroïne, qui transitent ensuite dans toute l’Asie centrale, en est la cause. Les tadjiks sont angoissés d’être aussi considérés comme des trafiquants – et terroristes par dessus le marché – suite aux raccourcis que la communauté internationale pourrait se figurer du fait de la proximité des deux pays. D’après eux, la solution à ce ternissement d’image se trouve en premier lieu dans la résolution des problèmes en Afghanistan : entre autres les problèmes d’irrigation, d’électricité, des faibles salaires des douaniers (qui s’adonnent facilement à la corruption), de la faible rentabilité des cultures autres que l’opium, le tout bien sur avec l’impératif de mettre fin à la guerre qui fait rage depuis 40 ans. De l’autre coté du miroir, on ajoute que la baisse des demandes européennes des drogues serait un bon facteur…

Une fois passés Khorog, où nous sommes surpris par la présence d’une unif américaine en pleine montagne, les vallées profondes laissent place aux vastes plaines salées du plateau pamiri, qui nous est littéralement servi sur un plateau : peu de vent (contrairement à nos attentes), pas froid. Les paysages verts ont laissés place à un paysage aride. La nouvelle difficulté c’est la question du ravitaillement, car seuls y vivent une paire de nomades d’origine kirghize dans ce monde isolé. Ce dont on ne peut pas se plaindre au moins, c’est de la circulation, qui serait inexistante sans les quelques camions chintoks qui sont décidément partout. Manifestement il ne faut pas comprendre par « pamir highway » une autoroute, mais plutôt qu’elle parcourt des hautes altitudes. Les jambes s’alourdissent, l’altitude étourdi et le souffle se fait court. Les premiers maux de crâne (Mak) concordent avec l’apparition des premiers yaks. On tourne à la mode kirghize (50 pourcent de la population), l’heure change, les gens changent. Les visages sont marqués, et les joues usées par le froid sont assorties de chapeau traditionnels feutrés. L’alimentation est basique : produits laitiers (yaourts, beurre), sucre, pain. Pas de place à la fantaisie culinaire, mais heureusement on a toujours plutôt préféré « la masse » (comme on dit) à la qualité, on ne peut pas dire qu’on est des difficiles sur ce point. On se met comme eux à la vie un peu à la dure : bonnet enfoncé en permanence sur les oreilles, pas d’électricité, pas d’eau courante. Pour ce qui concerne l’eau, on se sert n’importe où sans jamais la traiter et cela ne semble pas inquiéter nos estomacs d’aciers. On déroge par là à la règle d’or des cyclistes, mais le fait de ne pas encore être tombé malade nous encourage plutôt à continuer à faire travailler les anti-corps plutôt que de s’employer à la tache pénible de la purification. En espérant qu’on ne paiera pas notre laxisme…

Sur le chemin on constate notre « oubli » de ne pas avoir bifurqué vers la vallée du Wakhan (détour de 2 jours environ), chaîne frontière entre le Tadjikistan, l’Afghanistan et le Pakistan. Le couloir du Wakhan afghan est une bande étroite séparant la Russie de l’Empire britannique au temps du Grand Jeu, où chacune de ces puissances tentait de gagner plus d’influence sans vouloir se confronter directement. Nos regrets se dissipent en pensant aux belles vues qui nous attendent depuis les 4 cols de plus de 4000 mètres qui sont sur notre chemin. Ça a beau impressionner, l’altitude n’est pas un critère de difficulté. Les cols les plus hauts nous ont parus plus facile à franchir que leurs petits frères les 3000. Les rampes ne sont pas raides car on est déjà haut, mais les routes cabossées s’occupent quand même de nous faire passer des mauvais moments sur la selle. Heureusement la nature est bien faite et il y a toujours une justice : les descentes qui suivent les cols nous redonnent le sentiment d’avancer.

On choisit le village de Murgab (une bourgade en somme) pour faire une pause. Une bonne façon de découvrir la vie du plateau en déambulant dans son bazaar fait de vieux conteneurs de camions dans lesquels on trouve l’essentiel alimentaire. En fait les marchandises n’ont pas d’importance, ce sont plutôt les visages qui nous passionnent. Un marché bien  » à l’arrache » dans cette ville livrée à elle-même. On ne peut que goûter à ce spectacle par les yeux car coté communication c’est plutôt mort. La seule interrogation commune qu’on comprend, c’est de savoir comment on s’en sort financièrement pour voyager autant de temps, et quel est le but de notre voyage si on est pas payé pour le faire. Avec nos quelques rencontres on s’accorde pour penser que les milieux hostiles rendent les gens un peu rudes, assez individualistes (en repensant aux pays arabes, mais au moins on nous observe plus faire nos affaires), voir un peu « chacal » quand il y a affaire à faire. Enfin ce sont des considérations en tant que touristes de passage, et nos sentiments sont plus que contrebalancés par quelques accueils surréalistes que l’on nous a fait. Nous sommes encore reconnaissants envers les foyers qui nous ont apportés la chaleur humaine qu’on avait besoin, ainsi que celle émanant du feu qui carbure aux crottes de chèvres séchées. On s’est bien senti dans leurs maisons à toit plat, avec une ouverture faite de 4 carrés concentriques (représentant les 4 éléments du zoroastrisme: la terre, l’air, l’eau et le feu), les 5 piliers représentant 5 imams et peu de fenêtres pour mieux se protéger contre les rigueurs de l’hiver.

Tout ceci nous mène au flegmatique lac de Karakul aux eaux turquoises. Un village sur ses berges nous sert de ravitaillement et nous sert un paysage lacustre couronné de montagnes enneigées. Seuls les barbelés de la frontière avec la Chine (déportée de quelques dizaines de kilomètres par rapport à la ligne des crêtes), que l’on suit pendant environ 200 km, perturbent ce décor minéral. On quitte le plateau pamiri, non sans payer notre dû comme il se doit dans ces contrées, c’est-à-dire en se tapant un bon col. Derniers regards dans le rétro sur les sommets de la chaîne du Pamir et leurs faces glaciaires. Le Pic Lénine qui domine cette chaîne imposante du haut de ses 7134 mètres nous guette passer la frontière kirghize pour finalement arriver à un village qui se trouve à un croisement qui sera surtout celui de notre voyage…