29 04, 2011
Vodkistan
En nous accordant un maigre visa de transit, le consulat turkmène nous oblige à un contre-la-montre (et contre-le-vent) de 5 jours. La traversée intense de cette autocratie, qui n’a rien perdu de ses airs soviétiques, nous a offert des moments tant magiques que physiques.
Le passage frontière est sans doute celui le plus marquant depuis le début du voyage. Tout simplement génial l’effet que produit le fait de franchir une ligne imaginaire ! Le premier élément qui frappe, ce sont les bouilles, type asiatique (yeux bridés, pommettes), que l’on trouve au passage très photogéniques. Confirmation irrévocable de notre entrée en Asie centrale. La deuxième différence rapidement perceptible est de classe culturelle : sexe, drogue et alcool sont autant de comportements hédonistes populaires. Le sexe est abordé sans la moindre gêne à l’aide de grands gestes expressifs, les contacts humains sont plus rustres, plus russes : pas de chichis (on est contents de quitter le mode « assistés » du monde arabe et perse, quel sentiment de liberté !). La vodka, échappatoire à la main de fer de la dictature, remplace le thé. A notre grand plaisir d’ailleurs, car en fin de journée elle chauffe les coeurs, déclenche des sourires jusqu’à révéler les dents en or dans de rires gras, et simplifie la communication (pas moyen de trouver un mot commun avec une langue latine ou germanique…). On trinque à la santé de toutes les bonnes choses du monde…et donc aussi aux femmes! Fini la séparation des sexes, et les turkmènes n’hésitent pas à se mettre en valeur dans des belles robes multicolores, les longs cheveux au vent. Le niveau d’émancipation des femmes nous surprend, et ça fait du bien.
Si on apprécie cette version « soft » de l’Islam, on y perd aussi dans le change : le désert, la qualité de l’eau diminuée, les routes cabossées, des insectes en tout genre qui s’invitent lors de nos arrêts, et comme pour ajouter du suspense au défi de traverser le pays en 5 jours, le vent souffle de face nous transformant en « soldat éolien ». Puisqu’il décide de nous concéder aucun kilomètre, on se relaie pour « aller au front » comme on le dit, pour que le suiveur puisse profiter de l’aspiration. Pour le moral mieux vaut éviter de regarder devant soi, mais plutôt fixer la route rectiligne qui semble s’évaporer à l’horizon. La bonne nouvelle au moins, c’est que les routes sont débarrassées de véhicules. Le soleil nous impose son rythme: levers simultanés, siestes à l’ombre à ses heures tapantes (50 degrés), et après-midi qui prennent fin collectivement avec ses derniers rayons. Les cernes se creusent jour après jour. Par chance, une habitation (de berger, de cheminot, pompe à essence, chariot d’apiculteur) se profile à chaque fois au bon moment en fin de journée. Ces arrêts chaleureux nous rendent le sourire et agissent comme une poussée dorsale ! Tout au long du chemin les turkmènes – peu habitués aux touristes – nous rendent service, et nous questionnent, dès qu’ils le peuvent. Cela devient conventionnel : on ne nous demande plus où l’on va, mais d’où on vient.
En bref, contents d’avoir expérimenté ce pays où – petit détail amusant – on préfère laisser allumer le bec de gaz 24h/24 plutôt que d’acheter des allumettes (plus chères que le gaz, qui est gratuit).