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22 04, 2011

Au pays des interdits

L’entrée en Iran nous donne une impression d’avancer dans le voyage. Au cœur de ce sentiment naturellement : le départ du monde arabe, au profit du monde persan. Premier pays en « an » d’une longue liste, on se sent véritablement en Asie. Coup d’œil sur la montre, changement aussi (décalage horaire de 1h30, combiné au changement d’heure du 21 mars). Coup d’achèvement brusque que l’on attendait pour mettre fin à l’hiver, et subitement nous redécouvrons la joie des longues journées. Coté humain, différence : les iraniens, pas moins curieux, sont par contre moins « envahissants », et il faut dire que les grands espaces persans nous laissent de la marge. Le camping redevient coutume et c’est gaiement que l’on siffle le soir autour de notre feu, allégés, apaisés. Qu’à cela ne tienne si les premières nuits sont sous zéro degrés, il est grand temps de reconstruire notre « capital conversation » si l’on veut à nouveau s’enthousiasmer lors de nos rencontres. Enfin, comme le disait l’ami Aristote, l’homme est un animal social, et rares sont les moments en journée où nous sommes seuls. Plusieurs habitants nous ouvrent leurs portes pour la nuit, que l’on accepte avec un engouement proportionnel au degré du contact linguistique possible. Le compteur des nuits d’hôtel est depuis longtemps à l’arrêt. Coté calendrier, sensation équivalente d’évolution puisque tout le peuple célèbre la « No ruz » (nouvelle année pour le calendrier iranien, qui salue l’arrivée de l’équinoxe de printemps), qui chaperonne nos 2 premières semaines. La fête réunit les familles qui assaillent les campagnes et les montagnes pour partager le pique-nique, dormir sous tente dans les lieux historiques, s’adonner au sport ou encore se passionner pour une danse qui -pour une fois- est tolérée en publique.

Ce décor planté, nous commençons tranquillement notre incursion par un large plateau. Bonne surprise puisqu’on attendait de la montagne (le brun foncé redouté des cartes…). Tout le monde il est content, tout le monde il est beau et les oiseaux chantent le printemps… mais un bel après-midi lors d’une pause, on croque dans une pomme pour extorquer un peu de fraicheur sous ce soleil. Et juste après cette pomme d’Adam, les choses se compliquent. La route repart dans la montagne sans qu’on en ait pu s’en apercevoir et nous embarque pour plusieurs jours dans les hauteurs rafraichissantes. La punition d’avoir mordu dans le « fruit défendu » n’est pas si redoutable, tant le décor est majestueux, des montagnes à perte de vue…

Une fois de retour sur le monde plat, c’est la submersion dans le trafic routier tant redouté d’Iran, direction Téhéran. Alors qu’on s’époumone dans les nuées gazeuses, notre chemin croise celui de Massoud, homme cultivé anglophone dont le dynamisme pour échapper à sa condition de fermier nous marque. On passe 2 jours délicieux dans une petite cabane perdue dont le poêle embrase son visage le soir lorsqu’il nous parle de la sévérité de l’Islam et des Basijs. Les activités de cette milice conservatrice (qui vadrouille pour faire respecter les règles dans toute la République islamique) nous avaient déjà été rapportées, mais quand Massoud s’encourt tout à coup au son d’une voiture – nous révélant plus tard qu’il avait cru reconnaitre une voiture des Basijs – on prend conscience de la véracité des dires. Toutes les proscriptions dont on nous avait fait part – l’interdiction d’avoir une petite amie, des soirées dansantes, l’obligation de porter le voile etc. – ne sont donc pas des bêtises ! Massoud est aussi l’un de ceux qui nous avoue timidement ne pas être musulman.

Mis à part ces récriminations sur les interdictions, l’autre thème qui revient au fil de nos rencontres est celui de l’émigration (d’autant plus que ceux avec qui on a affaire sont ceux qui parlent anglais ou français, c’est-à-dire ceux qui se préparent à partir). Fâcheuse impression que tout le monde quitterait le pays s’il pouvait, s’évader de cette « prison à ciel ouvert  » comme on l’entend parfois, pour adopter le lifestyle occidental. On nous propose en rigolant d’emmener les bébés sur la selle, ou encore de troquer nos vélos contre un troupeau de vache et d’échanger nos vies… L’un d’eux nous confie même faire 6h de trajet aller-retour et y mettre une bonne partie de ses économies pour assister à son cours d’anglais donné dans l’un de ces nombreux instituts de langue qui font fureur (bon promis, on arrêtera de se plaindre quand on doit aller aux cours à Bruxelles). Dans les petits villages où le passage d’occidentaux semble plutôt inhabituel (ou alors ils se cachent sous des voiles, car dans toute la traversée du pays on n’a pas même aperçu un bout de nez de blanc-bec), on prend conscience que notre témoignage a de l’impact. Aussi, s’efforce-t-on de décomposer cette utopie construite autour de l’Europe, proclamant par-dessus le marché que vivre avec une envie de s’échapper est sans doute destructeur. Mais rien à faire, si sur le plan économique on arrive à convaincre (expliquant que les belges s’en sortent pas toujours facilement, et encore moins les immigrés), les arguments pour contrecarrer la plainte du manque de liberté nous font défaut. Certains tirent le positif en affirmant que le gouvernement strict permet de réduire les délits et la criminalité. C’est aussi ce qu’un retraité dont les arguments abondants sur l’existence de Dieu, irréfutables, conclut. L’Islam, qu’on y croit ou non, est un système d’organisation social censé montrer le chemin aux hommes qui n’ont pas tous le même niveau d’éducation (‘car tout homme est chargé de mauvais en lui’, selon sa thèse). C’est vrai qu’on s’est senti très en sécurité. Et ça, on peut dire que les iraniens y tiennent : « nous ne sommes pas des terroristes ! On aime tout le monde » (enfin, note personnelle : petite antipathie pour les arabes quand même…). On nous a confié la mission de le crier haut et fort au monde « extérieur », voilà qui est fait !

Emotions, débats, on se dit qu’un peu d’air frais nous ferait du bien, et on s’envoie en l’air sans plus attendre dans les Alamuts, pour un petit trek inventé dont le point de départ est le château de Gazor Khan. Relax, belle vue, lecture à la lueur du feu, et tchatche sur notre vie future étaient au programme. Nous finissons par échouer, en bus, dans l’énorme capitale de 17 millions âmes (on laisse nos vélos avant la ville pour les récupérer ensuite et amorcer le contournement). On y traîne les pieds plusieurs jours on ne sait plus trop pourquoi. En constante recherche d’un lieu (magasin vélo, librairie, ambassade turkmène, parc ou maison en construction pour dormir…) on s’épuise dans les avenues infinies regorgeantes de véhicules, emplissant nos poumons de pollution, si bien qu’on finit par surnommer la ville Téhérance. Dans cette agglomération de la démesure dont on n’aura jamais compris la géographie, on retient en particulier le Palais Niavaran (ancienne résidence du Shah avant la révolution iranienne), le Golestan Palace, le Bazar, et aussi la visite de l’Université (épicentre des manifestations anti-régime), dont on finit par franchir les barrières agressives à l’aide du cachet du vice-recteur. Les autorités craignent les influences étrangères sur les élèves…

On récupère nos montures et de là, « plus que » 1200 km nous séparent de Mashhad, la 2ème plus grande ville à l’Est du pays (qu’on surnomme aussi autrement mais ça ça reste entre nous…), ce que nous exécutons en 10 jours de vélo. On commence par s’empâter dans le contournement de Téhéran, suffocant entre les Peykan et les vieilles Peugeot (quasiment les deux seules marques), une bonne galère. Ensuite la grande route, seul itinéraire possible, nous astreint des longs moments de solitude, dont le cul s’en souvient, sur la route désertique. Le soleil tape, le vent nous freine ou nous aide dans ses moments de gratitude. Dans la foulée, on s’essaye à parcourir la plus grande distance du voyage en une journée. Un vent léger de face par moment pompe nos dernières ressources d’énergie si bien que le dernier des 350 km est un supplice.

A Mashhad, nous vagabondons aussi plus longtemps que prévu : le visa turkmène commandé à Téhéran n’est pas prêt. Heureusement pour s’occuper, la ville est dotée du mausolée d’Imam Reza, le 8ème Imam shiites. Ceinturé par un énorme complexe formé par plusieurs cours aux milles portes à faïences, aux mosaïques filandreuses, aux plaques d’or qui transpirent la richesse, c’est sans doute le plus grand site religieux qu’on ait jamais visité (plus grand en surface que le Vatican), avec le plus d’employés (25.000) et le plus de pèlerins. Pendant que les shiites attendent le 12e Imam et le jour de Résurrection, nous on attend toujours nos visas. Grosses inquiétudes chaque jour à 8h devant le consulat, en se mordant les lèvres dans l’attente de la réponse d’Achgabat. Finalement on aperçoit sur le visage antipathique du bureaucrate (comme dans tous les consulats du monde), au travers de la mini-fenêtre…un sourire ! Cette fois ça y’est, on a le feu vert pour l’Asie centrale !

Bref, une impression positive sur cet Iran renégat. Enfin, si ce récit incite quelqu’un à s’y rendre, on lui conseille d’attendre un peu, car en général une révolution se déclenche 10 jours après les pays qu’on traverse 😉