24 06, 2011
Emotions
Le Kirghizistan est le pays où des choses allaient bouger, on le savait. Le point phare : la venue de Max qui enfourchera le vélo de Sam pour continuer la route avec Mak. Mais le planning n’est jamais parfait quand il est arrangé si longtemps à l’avance, et nous avons 10 jours d’attente avant l’arrivée du sang frais. On pose les vélos dans le premier petit village sur notre route, pour barouder en sac à dos dans ce qui pour moi est l’un des plus beaux pays du monde (à condition d’aimer la montagne…). Le premier trajet motorisé s’avère scabreux et donne le ton pour les jours qui suivront. On constate à nos dépends que les kirghizes ne sont pas des enfants de cœur, lorsqu’un taxi-man mécontent de nous avoir perdu comme client nous raquette sur la route à l’aide de deux potes baraques et d’une planche à clou posée sous les roues du camion qui nous emporte.
Depuis la ville de Osh que nous atteignons bon gré mal gré dans ce camion qui tombe en panne (20h pour 200 km), on s’offre le luxe de traverser le pays pour se rendre à Karakol. 15 heures de routes bien grasses, de quoi philosopher à travers la vitre en regardant défiler les yourtes. Fin de première session pour Mak, fin de voyage pour Sam. On se lance dans un trek dont on apprend par la suite d’avoir été les premiers de la saison à avoir pu franchir le col qui mène au lac glacial d’Ala-Kol. La grêle, la neige et les erreurs de chemin pimentent la traversée. Les sources chaudes d’Altyn Arashan, sa plaine avec ses chevaux sauvages nous servent de point d’arrivée.
De retour à Osh, l’ami Max déboule enfin pour clore notre long « voyage de noce ». Course dans la nuit pour le retrouver et longue accolade. De quoi mettre fin aux dernières nuits blanches d’excitation durant lesquelles on s’impatiente de retrouver son efficacité, sa simplicité et sa vivacité. La bière s’occupe d’euphoriser ces instants d’un vieux staff pi retrouvé. Max passe avec succès les épreuves pour obtenir les clés du cadenas du vélo de Sam et devenir membre des Roues de la Soie (un chouaia de côté scout qui ressort…). L’alcool consommé, les retrouvailles consumées, il est déjà temps de faire les adieux à Sam qui s’en va pour attraper son vol retour depuis Pékin (vélo/train). Emotions fortes, logique pour un partenaire si proche avec lequel on a tout partagé de A à Z, sans lequel on se sentait nu s’il n’était pas dans les 100 mètres. Tant de souvenirs en commun, une amitié devenue immortelle.
Avec Max, on flâne encore 4 jours dans la ville dans l’attente d’un permis pour se rendre au pied du Pic Lénine (7134 m), qu’on prévoit de grimper. La nervosité dans la ville de Osh est palpable, depuis qu’elle fut le théâtre d’émeute ethnique entre ouzbeks et kirghizes il y a exactement 1 an. Elle finit par se matérialiser, Mak se fait lyncher dans un escalier en compagnie d’un autre cyclo anglais qui tombe K.O. après le premier coup de point. Mak parvient à s’encourir mais à chaque changement de volée d’escalier, c’est un rouage de coups. Juste un kirghize en manque de violence, faut dire la culture du catch ou du kidnapping de sa femme (moyen courant pour éviter à l’homme de payer la dot à son beau-père) a tendance à faire monter l’agressivité. Le comble c’est que le voisin de quartier (porte entre-ouverte) me refuse l’assistance, en proclamant de plus que ce n’était sans doute pas un kirghize mais un ouzbek qui avait pu me mettre dans un état pareil. Comme si c’était le moment pour se genre de considération, j’ai juste besoin d’un abri, de refermer mon arcade sourcilière, de rincer ma gueule pleine de sang et d’enlever ce T-shirt déchiqueté. Après coup, je me dis que c’est aussi mon caca dans le froc qui a du le rebuter…(relâchement des sphincters dans le feu de l’action). Résultat, une journée supplémentaire dans cette satanée ville le temps de me remettre en état avant de se lancer pour le Pic Lénine. Le propriétaire de la guesthouse finit par nous offrir cette dernière nuit de « fidélité ». Déjà tant de nuit à Osh, et tant d’attente.
Le Pic Lénine est un fiasco, et avait beaucoup de chance de l’être. Une vieille jeep soviet nous dépose avec tout notre lourd matériel du mauvais côté d’un torrent non traversable. Une erreur qui nous coûte 3 jours de galère pour remonter le torrent et atteindre le point où la rivière passe sous le glacier. Une fois l’un de l’autre côté de la rivière, on joue à Robin des bois en se passant tout par la corde. De cet endroit qu’on appelle le « camp gouffre » on finit par atteindre le camp de base…qui n’est pas encore installé. Cette année les saisons sont exceptionnellement reculées, et dire qu’il nous a fallut aller jusqu’au camp de base pour l’apprendre ! La neige tombe encore, le brouillard est omniprésent, aucun chemin n’est tracé, le verdict est lourd : impossible de grimper. S’en suit une longue hésitation à l’abri du mauvais temps sous la tente, et l’appel du vélo – qui prend des toiles depuis un peu moins d’un mois – finit par l’emporter sur l’option de languir au Kirghizistan pendant 15 jours en attendant la saison. Nous sommes à plat, désillusion musclée sur ce projet qui nous a tout deux fait vibrer pendant ce dernier mois. Ca fait mal pour des occidentaux comme nous qui avons l’habitude des suites de réussites. On n’ose même pas lister nos pertes en temps et en argent tellement le bilan serait abominable.
La suite est un nouveau casse-tête, une autre grande décision à prendre pour ce qui est du choix du futur itinéraire. Finalement le choix est restreint entre les complications politiques (Ben Laden au Pakistan), les embarras administratifs (le Tibet toujours fermé), les saisons (moussons à éviter au Népal ou en Asie du Sud-Est). Le choix définitif sera la traversée du Xinjiang (province désertique au Nord du Tibet), moins mythique, moins haut, et encore plus aride que le Tibet malheureusement, suivi par la traversée du Sichuan, cette province qu’on dit même plus « tibétaine » que la Région Autonome du Tibet. Enfin à nouveau sur le vélo pour mettre fin à cet amas de questions, Mak se fait entraîner par les roues de deux cyclos allemands véloces pour rejoindre la Chine. Tout est précipité, le trip est foncièrement sportif et le voyage n’est qu’un « side-effect » : bien différent de notre politique pour lequel le vélo est plutôt un moyen de se déplacer dans un voyage. Je quitte le Kirghizistan avec à peine plus de 100 km dans le pays (sans triche hé, les vélos sont restés sur place et repris au même endroit). L’énorme Chine se chargera de faire la balance !