01 03, 2011
L’hospitalité à l’extrême
Bien que le raccourci soit facile, on aimerait prétendre que les syriens forment le peuple le plus gentil de la planète. « Un bel antidote à l’image que les Etats-Unis essayent de façonner des arabes » comme le dit notre guide. La sympathie et l’hospitalité sont si fortement ancrés qu’il suffit de frapper à la porte pour qu’on nous installe pour une nuit. Rien de moins habituel que des lignées de gens le long de la route (oui, le manque de travail est palpable) faisant des appels énergiques pour un thé.
L’enthousiasme syrien a aussi des cotés lassants. Un peu prévisibles, nous pouvons avec l’expérience répondre aux interrogations populaires sans même comprendre les questions successives. A la première interrogation un « Ana min Belgiqua » déclenche en général un « aaah » satisfait. Vient alors la traditionnelle « Anti bekelem arabi ? » (tu parles arabe ?) à laquelle nous nous soustrayons par un « chouaia ». La troisième interpellation peut être surmontée en prononçant notre destination suivante. Quelques essais de formulation en changeant l’accent et puis tout à coup l’illumination dans les yeux de l’interlocuteur. En attendant, d’autres curieux se sont en général agglomérés, les débats vont bon train et notre situation est récapitulée de bouches à oreilles. Quand on nous demande le prix du vélo, plutôt courant chez les adolescents, on répond avec moins d’enthousiasme…La relation avec l’argent casse la magie du voyage, même si elle est une réalité. La litanie des questions continue ainsi, jusqu’à atteindre la limite de notre arabe ou du language des signes. Sur la route c’est plus facile, les chauffeurs ralentissent pour tendre le bras avec ce geste de la main ouverte qui fait un demi-tour sur elle-même et qui regroupe toutes les questions en une (Qui es-tu ? D’ou viens-tu ? Pourquoi ?). Un salut de notre part nous dispense de réponse, le camion ré-accélère dans un nuage de gaz d’échappement, coup de klaxon en prime.
Quteiba nous fait l’honneur de nous faire découvrir la capitale aux 8 portes qui l’a vu grandir. La vieille ville dégage de la richesse, la mosquée des Omayyades en impose, l’architecture retrace des millénaires, il se dégage du souk les odeurs de spécialités culinaires mélangés aux épices, on a l’impression de surprendre Damas dans son intimité. La famille de notre ami nous goinfre d’houmous, de fool, d’halawi…il est temps de se remettre en selle si on ne veut pas s’ankyloser.
Le détour au Liban, pluvieux (voir récit) nous donne l’impression d’arriver au printemps lors de notre retour en Syrie. Les vallées vertes sont couvertes de tapis de fleurs jaunes dans lesquelles paissent les vaches. C’est sous un ciel azur que l’on aperçoit le château perché de Crac des Chevaliers, ce bastion des Croisés contre les armées de Saladin et des Mamluks. La journée d’après est plutôt de type montagne-russe et la suivante une longue avancée plate, mais sous la pluie (on ne peut pas tout avoir non plus…).
La ville d’Alep au carrefour des routes de la soie est semblable à Damas, en moins touristique, plus conservative (beaucoup de femmes portent des tchadors). On pourrait y flâner des heures en regardant le monde tourner. Le quartıer chrétıen est enclavé, forçant les challenges de la mixité des religions. La citadelle surplombant la ville amplifie l’apparence médiévale, on va jusqu’à dire que la cité évoque les contes de 1001 nuits. Alep marque la fin de notre semi-tour de la Méditerranée. C’est le coeur léger – mis à part les inquiétudes iraniennes – que nous bifurquons une fois pour toute vers l’Est.
Les derniers jours de notre séjour syrien expliquent sans doute pourquoi le voyage à vélo n’est pas plus répandu : paysage morose, nuage de sable, vent de face sur une route ennuyante parsemés de quelques villages aux habitants (souvent kurdes) un peu tristounets.